«Une montre doit être authentique, identitaire et reconnaissable»

«Une montre doit être authentique, identitaire et reconnaissable»

Le design horloger est une discipline complexe qui lie intimement la recherche esthétique et les contraintes techniques. Décryptage avec Gianfranco Ritschel, consultant et formateur indépendant, expert en horlogerie.

Gianfranco Ritschel* maîtrise aussi bien les rouages internes que l’histoire de l’horlogerie. Un expert dans tous les sens du terme.
*L’horlogerie, son histoire, sa culture et ses techniques n’ont plus de secrets pour cet horloger de formation rompu aux techniques du marketing et de la communication. Une passion et des connaissances qu’il partage lors de formations ainsi que dans ses activités de consulting auprès des plus grandes marques horlogères.

Comment le design des montres a-t-il évolué ces 40 dernières années ?

Dans les années 1970, on est passé d’un design fonctionnel, rond le plus souvent, à un design créatif avec des angles et des formes. D’une manière générale, ces 40 dernières années, on a aussi intégré de plus en plus de complications dans les montres. A partir des années 90, la montre est devenue plus épaisse, plus grande, plus ostentatoire. D’un diamètre standard de 38mm, on est passé à plus de 42, voire 44mm, certains osant le 46 ou le 56 dans les cas les plus extrêmes ! C’est intéressant de constater qu’aujourd’hui, la tendance est inversée. Les marques reviennent à la raison avec des montres plus élégantes.

Quelle est la grande tendance actuelle en matière de design ?

Sans hésitation, le retour au vintage ! Les montres sont plus petites, avec moins de volume. Elles présentent tous les codes identitaires des montres d’antan, mais bénéficient de nouveaux matériaux et des dernières technologies. On constate même une réapparition des montres extraplates, symbole d’élégance au masculin dans les années 60 et 70. Le modèle Master Ultra Thin de Jaeger-LeCoultre en est un bon exemple. Mais de nouveaux acteurs s’aventurent sur le terrain de l’extra plat comme Bulgari, par exemple, avec les récents exploits de l’Octo Finissimo.

La Master Ultra Thin 41 de Jaeger-LeCoultre est un bel exemple de finesse et d’élégance au masculin.

 

Pourquoi le design horloger est-il si spécifique ?

Comme dans l’automobile il y a l’élément carrosserie et l’élément moteur à associer, les deux doivent fusionner dans un seul objet, facilement portable, lisible, et si possible aussi confortable. Une montre doit être identitaire et reconnaissable. En même temps, elle doit satisfaire aux contraintes de résistance et de fiabilité à long terme. En cela, le choix des matériaux influence beaucoup le design. Il reste tout de même la question philosophique que tout le monde se pose : est-ce la forme qui doit suivre la technique ou bien le contraire ?
 

En quoi les complications d’une montre peuvent-elles présider à son esthétique ?

Le développement des mouvements est bien plus complexe que le design et, finalement, le mouvement reste souvent prioritaire. Par exemple, si je veux déplacer une aiguille de deux millimètres sur un cadran, cela demande une nouvelle architecture du mouvement dont les changements techniques seront très lourds et coûteux. Voire même la construction d’un nouveau calibre, qui prendra entre trois et cinq ans pour sa version finale. Prenez une montre Breguet par exemple. Pour déplacer la cage du tourbillon à 4h sur le modèle Classique Tourbillon, il a fallu que le mouvement soit entièrement redessiné.

Sur le modèle Classique Tourbillon de Breguet, le positionnement du tourbillon à 4h a impliqué que le mouvement soit entièrement redessiné.

 

Vous parlez de lisibilité et de solidité. Qu’en est-il du confort ?

C’est un élément essentiel. Pour choisir une montre, il faut la porter, la caresser. L’admirer en la touchant en quelque sorte. Il faut aussi être attentif à la lisibilité, à la forme des aiguilles, aux contrastes du cadran. Le poids et l’équilibre de la montre, ainsi que les matériaux ont également leur importance, tout comme les finitions du boîtier : poli, avec des angles adoucis, satiné… Cela dit, il se peut qu’on achète une montre qui n’est pas du tout confortable juste parce qu’on la trouve belle. Comme une femme qui aime porter une paire de chaussures à talons hauts ou un homme avec une cravate qui lui serre le cou. Mais, au final, c’est le coup de coeur qui décidera.
 

Comment expliquer qu’à diamètres équivalents, deux montres
puissent paraître totalement disproportionnées ?

Il y a des formes qui influencent l’oeil différemment. Les contrastes aussi jouent beaucoup avec notre perception. Prenez deux cadrans, un noir et un blanc : à diamètres identiques, ils donnent toujours une impression différente. Les cornes ont aussi leur importance. Droites, inclinées, arrondies ou polies, elles jouent énormément sur la perception de la montre. La Portugaise d’IWC a sensiblement évolué en ce sens avec des cornes qui la rendent bien plus confortable.
 

Qu’est-ce qu’un design réussi ?

Le design est réussi dès qu’il nous parle, dès qu’il évoque un style ou une utilité. Plus il sera reconnu et établi sur le marché, plus on le définira comme « iconique » ou carrément légendaire. Il est difficile de le décrire avec des critères rationnels. Tout est extrêmement subjectif. Mais une montre s’apprécie en la « lisant » attentivement, un peu comme un livre… Plus on l’admire, plus on y découvre d’autres éléments ou aspects qui peuvent nous séduire. Et n’oublions pas, une montre nous parle en nous donnant l’heure… mais en même temps, elle parle un peu de nous ! A chacun de choisir son propre style.
 

Quels sont les modèles emblématiques dont le design retient votre attention ?

La Rolex Submariner tout d’abord. Elle présente des développements authentiques avec sa lunette et son cadran très lisibles conçus pour les professionnels. Elle me rappelle mes années d’apnéiste ! La Speedmaster d’Omega bien évidemment avec sa cohérence esthétique. Même après 60 ans d’existence, elle évoque encore le premier pas sur la Lune. J’aime aussi beaucoup les montres carrées. La Monaco de TAG Heuer lancée dans les années 1950 en est un excellent exemple. Et, d’un point de vue symbolique, c’était le premier chronographe automatique de forme étanche au monde.

Lancée dans les années 1950, la Monaco de TAG Heuer frappe par la force du design de son boîtier de forme.