Jonathan, c’est un peu l’histoire d’une vie : plus de quarante ans de périples en 17 albums d’une série qui fait d’ores et déjà partie des grands classiques de la BD francophone. Une série à laquelle son auteur Cosey vient d’apporter l’ultime coup de crayon avec «La Piste de Yéshé » qui paraît en cette fin d’année aux éditions Le Lombard. Entre le pénultième volume « Celle qui fut » et ce dernier opus de la saga, il aura toutefois fallu attendre 8 ans. « C’est vrai que les aventures de Jonathan auraient bien pu s’arrêter avec l’album précédent, explique Cosey. Comme lecteur, je ne suis d’ailleurs pas un inconditionnel de ces séries qui s’éternisent. Mais une idée m’est venue qui me plaisait bien, qui me permettait d’imaginer une fin sur mesure et de boucler la boucle. » Un regret d’abandonner Jonathan ? « Évidemment, c’est un deuil de laisser un compagnon de route après 46 ans. Jonathan est un peu comme mon alter ego idéalisé. Un personnage avec lequel je m’entends bien et que j’ai suivi comme une ombre. C’est pourquoi Jonathan est peut-être bien content que je lui lâche les baskets ! »
Esprit vagabond
Pour cette dernière aventure, au terme de laquelle le démiurge finit bel et bien par rencontrer sa créature, on retrouve Jonathan au Tibet. En route pour les chemins cabossés des pistes caravanières, pour les cités logées à flanc de montagne et ces lamaseries qu’on atteint à dos de yack en hiver, le tout sous l’œil scrutateur des « libérateurs » chinois. En route donc pour le voyage qui a toujours nourri l’imaginaire de Cosey, le lauréat du Grand Prix d’Angoulême en 2017, fait Chevalier des arts et des lettres l’année suivante. « C’est ma façon de travailler, poursuit Cosey. Contrairement à la plupart des auteurs de fiction qui partent d’un scénario pour ensuite faire leurs repérages, je préfère laisser mon esprit vagabonder lors de mes pérégrinations. Elles me donnent l’occasion de faire des croquis, de prendre des photos, de mettre quelques notes sur le papier que je laisse ensuite reposer. Ce n’est qu’après une phase de maturation, que l’histoire prend forme. Quand j’ai commencé à dessiner Jonathan en 1975, il n’y avait pas grand-chose comme documentation sur le Tibet. La solution était d’aller chercher par moi-même et de me rendre sur place. Mon dernier voyage au Tibet central en 2019 s’est déroulé dans ce même esprit. Celui de joindre l’utile à l’agréable. »
Invitation au voyage
Dépaysement garanti donc au cœur de ces montagnes que Cosey croque avec un délice quasi jouissif. Des montagnes qui forment son cadre de vie quotidien dans les Alpes vaudoises et que l’on ne cesse de (re)découvrir dans les traces de Jonathan et de ses frères et sœurs de papier. «C’est vrai que j’aime dessiner la montagne. Au niveau du dessin, on touche à une forme d’abstraction où la justesse du trait importe finalement beaucoup moins que lorsqu’on cherche à représenter des personnages par exemple. Cela crée une certaine distance par rapport à la réalité qui vient enrichir la narration. » Une forme d’invitation au voyage intérieur, en quelque sorte, qui nourrit Jonathan et son auteur. « Je suis en effet une de ces personnes pour qui la spiritualité est importante. Elle nourrit mon travail, poursuit Cosey. J’ai eu l’occasion de séjourner dans ces monastères du Tibet et j’avoue que la vie des moines, très centrée, très focalisée sur la sagesse du Bouddha m’a toujours intéressé. Au niveau de la BD en tout cas, cela m’amuse davantage qu’une bagarre dans un saloon…»
Un « gros bouquin » à venir
Au fil de ce dernier opus, Jonathan aura donc fait son dernier tour de moto, sur une Royal Enfield Himalayan évidemment. Une chance de voir lui succéder un autre «héros » ? « Certainement pas, affirme Cosey. Les séries sont trop contraignantes. Peut-être une histoire déclinée en diptyque ou triptyque, comme je l’ai déjà fait pour « À la recherche de Peter Pan» ou «Le voyage en Italie » par exemple mais assurément une seule et unique histoire. » Pour l’heure, Cosey se consacre à l’exposition prévue fin novembre à la Galerie Daniel Maghen, Rue du Louvre à Paris. Une exposition qui coïncide avec un recueil à paraître, aux éditions Maghen précisément, regroupant des esquisses, des aquarelles, des notes de voyage de Cosey… Pour l’heure, nous n’en saurons pas beaucoup plus. Le projet est sur les rails : « Un gros bouquin! »